Etude Nationale sur les Pratiques des Joueurs – Juillet 2020

Ça y est ! Après autant de rebondissements dans cette année 2020,
mon étude débute ! Voici son communiqué de presse officiel 🙂


COMMUNIQUÉ DE PRESSE
Paris, le 1er juillet 2020

Étude Nationale
“Pratiques et difficultés des joueurs de jeux vidéo” 

L’accessibilité est l’affaire de toutes et tous. Les difficultés rencontrées par les joueuses et joueurs, notamment en situation de handicap, sont une problématique encore peu traitée par la recherche et l’industrie. Il n’existe que très peu de données sur ces situations et aucune n’est spécifique au territoire français.  

Afin d’améliorer l’accessibilité des jeux vidéo, il est primordial de recenser les difficultés rencontrées par les joueurs et les joueuses. Recueillir leurs expériences et idées permettra de concevoir de façon collective des solutions utilisables par le plus grand nombre. 

Les données recueillies au cours de cette étude permettront d’identifier les pratiques de jeu de chacun et les réappropriations que certains peuvent mettre en place. Quelles sont les stratégies d’adaptation ? Comment sont partagées les connaissances ? Où trouver des ressources pertinentes ?  Tous les joueurs et joueuses, en situation de handicap ou non, sont invités à répondre à cette étude. Celle-ci repose sur un questionnaire en ligne (10-15 min) et sera complétée par des entretiens avec des personnes volontaires.  

Cette étude est portée par trois acteurs de l’industrie et de la recherche vidéo-ludique : 
– L’association CapGame,
– Le Syndicat des Éditeurs de Logiciels de Loisirs,
– Le Conservatoire national des arts et métiers. 

Le lien vers le questionnaire de l’étude : 
https://framaforms.org/pratiques-de-jeu-1590054128
Contact etude@capgame.fr


A propos de CapGame
Depuis 2013, l’association CapGame œuvre pour une meilleure accessibilité des jeux vidéo et une plus forte inclusion des joueurs et joueuses en situation de handicap. Les actions de CapGame se déclinent autour de 5 axes: la veille technologique, les tests de jeux, la R&D, le consulting / formation auprès des professionnels de l’industrie vidéo ludique ou du médico social et l’esport. 
https://www.capgame.fr/

A propos du Cnam 
Lieu de rencontre entre les mondes académique et professionnel, le Conservatoire national des arts et métiers est un grand établissement d’enseignement supérieur et de recherche. Ses trois missions principales sont la formation professionnelle tout au long de la vie, la recherche technologique et l’innovation, et la diffusion de la culture scientifique et technique.  
Disposant d’un fort ancrage territorial, le Cnam propose plus de 500 parcours de formation dans les domaines des sciences exactes, techniques et tertiaires. Chaque année, il accueille plus de 55 000 auditeurs et délivre plus de 13 000 diplômes, certifications ou titres.  
Le Cnam développe une recherche pluridisciplinaire et transdisciplinaire en lien avec les grands enjeux de la société. Dans ses 20 laboratoires et ses 16 équipes pédagogiques nationales, il accueille 430 chercheurs et enseignants-chercheurs ainsi que 360 doctorants.  
Le musée des Arts et Métiers, composante du Cnam, conserve une collection remarquable de près de 80 000 objets et 15 000 dessins, témoins de l’évolution des savoirs scientifiques et du progrès technique, dont près de 2 500 objets exposés au public.   
http://www.cnam.fr
https://www.arts-et-metiers.net

À propos du SELL, Syndicat des Editeurs de Logiciels de Loisirs
Le SELL représente au plan national les éditeurs de jeux vidéo et de logiciels de loisirs et compte vingt-trois adhérents.
Le SELL promeut et défend les intérêts collectifs des éditeurs de jeux vidéo dans les différents domaines où ils sont engagés et sous les différents aspects professionnels, économiques ou juridiques qui les concerne, et contribue ainsi à la structuration du marché (classification, promotion de la profession, antipiraterie, presse…) et à sa reconnaissance par tous les professionnels, les pouvoirs publics et les consommateurs. 
Le SELL soutient la norme européenne PEGI, véritable système de classification du contenu des jeux vidéo, qui propose des informations fiables et faciles à comprendre sous forme de labels figurant sur les emballages. Le SELL représente ainsi la volonté d’engagement et de responsabilisation de l’industrie des loisirs numériques. 
La Présidente du SELL est Julie Chalmette, et son Délégué général, Emmanuel Martin. 
www.sell.fr

Ressources

Ensemble de liens à propos de l’ux et de l’accessibilité dans le jeu vidéo.

* being studious *

Autour de l’UX

Associations :

Militantisme :

Groupes Facebook, LinkedIn & Discord :

En quoi l’art de ces soixante dernières années a fait de la représentation, une question politique ? – Partie 3

Suite et fin de cette dissertation 🙂



Toutes ces émulsions politiques et sociales affectent les différents secteurs et mouvements artistiques puisque, ces revendications permettent de faire émerger là encore d’autres formes d’art et de représentation : avec l’apport de Brecht, des happenings se développent ainsi que des performances, mais aussi ce qu’on appelle des “ready-made” propres à Duchamp. C’est notamment dans ce mouvement que s’inscrit l’entité “Claire Fontaine”, un collectif d’artistes pluridisciplinaire, tirant son nom par principe de détournement : en premier lieu celui de la marque de papeterie scolaire mais aussi de l’œuvre de l’urinoir nommée Fontaine, de Marcel Duchamp (1917). Ce qui est intéressant ici, c’est que Rumney fit également un tel assemblage par détournement et appropriation : reprenant lui aussi l’œuvre de Duchamp, il associa l’urinoir non pas à une marque de papeterie mais à une maison d’éditions, les éditions Allia, (qui entre autres s’intéresse beaucoup au thème de la révolte politique comme les avant-gardistes tel Rumney, mais aussi le rock, l’érotisme, …) et leur publication Lipstick Traces [16].

L’œuvre de Claire Fontaine, La société du spectacle brickbat (2005) est composée d’une brique entourée d’une couverture de l’ouvrage La société du Spectacle de Guy Debord (1967) et est maintenue en place par un élastique. Il est intéressant de s’attarder quelque peu sur le sens donné à l’œuvre par le titre choisi : “brickbat” est un mot anglais pouvant se traduire par “morceau de brique” mais aussi évoquer une “critique acerbe”.

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Ce qui est intéressant à observer, c’est que l’appropriationnisme dont fait preuve Claire Fontaine, a pour but de réactualiser les revendications et questionnements situationnistes de Debord quant à l’impuissance politique et à la problématique de l’individualité propre au monde contemporain aujourd’hui. Parce que Claire Fontaine est un collectif, l’utilisation de production d’autres artistes, ou sa production personnelle pouvant ressembler au travail d’autres artistes questionne ainsi de la place et du rôle de l’artiste. Il est à noter que les premiers ready-made de Duchamp ont été de prime abord très mal reçu par les institutions (musées) mais que depuis, ils peuvent avoir pignon-sur-rue. On observe ainsi ici un travail sur la légitimité de l’art avec une critique propre à l’anti-art de Duchamp, quant à ce qui peut être ou non exposé dans ce que l’on appelle les “white cube” (galeries et musées) et d’accéder au statut d’œuvre d’art. Ces white cube sont une codification de plus, une politique en somme d’exposition d’art. Ce sont des salles blanches, aseptisées, genre de laboratoire stérilisant et isolant de la compréhension du spectateur, la lecture d’œuvres d’art et en particulier d’art contemporain. Bien que ne faisant pas l’unanimité, c’est le modèle d’exposition en vigueur, accepté internationalement. En ce sens, l’œuvre de Claire Fontaine, non content de faire une réactualisation de concepts situationniste, fait également un pied de nez aux institutions de l’art et donc procède par renversement et satire à la critique acerbe qu’il incarne (“brickbat”).

Depuis la période de l’analogique, et donc de la télévision, en passant par les réactualisations d’arts situationniste en 2005 avec les travaux de Claire Fontaine, la part belle a depuis été faite à l’utilisation du numérique. Pour le théoricien de la communication Marshall McLuhan [17], l’importance au long terme dans l’arrivée d’un nouveau média tient davantage dans le médium en soi que dans son contenu. L’impact d’un média s’observe plus dans les nouvelles interactions et perceptions du monde qu’il permet que dans les propos même qu’il porte. En appliquant cette pensée à la reproductibilité numérique qui nous est contemporaine, principalement par l’effet Warhol et son pop’art, on peut souligner qu’une grande part de la nouveauté que permet la technologie est non seulement une démultiplication de la forme, mais surtout une possibilité de diffusion à grande échelle dépassant les médias précédents. Ce potentiel de diffusion et d’instantanéité que permet le numérique, rattaché à l’usage d’internet ouvre de nouvelles possibilités et pose à nouveaux des questions sur la triade artistique : qu’est ce que l’art, qu’est l’artiste créateur et quel est le rôle du spectateur ?

Nous pouvons constater que nombreux sont les artistes contemporains à se saisir de ces nouveaux médias comme matériaux pour leurs travaux. Par exemple, la performance de Ai Weiwei [18] est directement une ses créations, lors du Gala Cinema for Peace (2016). Weiwei a utilisé les réseaux sociaux (pour leur facilité d’accès du fait de leur omniprésence mondiale) et le “selfie” (type de photographie “égocentrée”) afin de traiter tel un artiste politique, du sujet des horreurs vécues par les réfugiés des crises migratoires depuis les années 2010. L’événement et la performance créent ainsi une forte polémique, en se permettant de juxtaposer ce rassemblement mondain à l’image, elle plus crue et perturbante, des scènes réelles se jouant à des centaines de kilomètres de là. En plein Gala, ces couvertures dorées que revêtent de riches donateurs, censées véhiculer un sentiment de solidarité aux migrants par les réseaux sociaux, ne parviennent qu’à montrer le décalage de la “société des richesses” propre à Marx et de mettre en lumière l’égocentrisme futile qu’ont ces faux moyens de communications que sont l’usage d’Internet : ils n’ont pas d’impact, sont vains et vaniteux, immoraux et moqueurs de situations réelles et terribles. Ai Weiwei en ce sens, partage de fortes valeurs situationnistes de par sa critique envers la politique sociale. Ai Weiwei nous parle également du rôle ici du spectateur, rendu “acteur” de l’œuvre d’art, lui donnant toute sa dimension sociocritique : ces photographies permettent de mettre l’accent sur l’illusion d’un sentiment d’action que nous, spectateur, pouvons avoir avec nos usages de ces boîtes aliénantes que sont les technologies du spectacle (télévision, ordinateur, réseaux sociaux), en plus de mettre en lumière la vacuité de notre “solidarité factice à base de hashtags”. Le spectateur prend certes part à l’œuvre et lui permet de se démultiplier mais par la numérisation il est littéralement et paradoxalement “déconnecté” de l’action du message porté, une mise à distanciation du réel que dénonce Ai Weiwei, comme Debord avant lui.

Toujours dans cette distanciation du réel par le médium ainsi que par l’idée de Coleridge de “suspension consentie de l’incrédulité”, nous pourrions mettre en lien le travail de Ai Weiwei avec celui de Sylvain Raudrant [19] dans son œuvre politique Un refuge Latent (2015), du collectif Alinéaire. Dans son installation, Raudrant veut nous montrer la réalité que vivent les migrants, tout en soulignant la négligence qu’on leur administre. On retrouve ici l’idée platonicienne d’un spectateur asservi qui par son ignorance, est capable d’asservir en retour, sourd et aveugle au monde (des idées et des émotions) qui l’entoure, incapable également de se penser et de repenser le monde dans lequel il agit. Dans son installation, Raudant utilise le principe de retransmission sur écran du parcours de son spectateur : celui-ci erre dans son installation et passe, aveugle dans une pièce qui lui semblait “vide”. En réalité, une fois retransmis sur écran, un vidéo montage permet de voir des personnes en situation de misère sociale se voir totalement ignorer par ceux parcourant la salle. L’artiste prend ainsi le rôle d’un éducateur qui lève “le voile de l’obscurité” [20] cher à Platon des yeux de son spectateur et sur ses comportements, sur ce qu’il ne veut ni ne pouvait voir. À la fin de sa déambulation, le visiteur découvre grâce à l’apport des situationnistes de Debord, sa propre image entourée de migrants et sa réaction: passé de l’autre côté du voile, de l’écran, il découvre et peut ainsi prendre conscience de son aliénation et de sa distanciation effective au réel.

« Quels devront être les principaux caractères de la nouvelle culture, et d’abord en comparaison de l’art ancien ? Contre le spectacle, la culture situationniste réalisée introduit la participation totale. Contre l’art conservé, c’est une organisation du moment vécu, directement. […] Contre l’art unilatéral, la culture situationniste sera un art du dialogue, un art de l’interaction. […] Tout le monde deviendra “artiste” à un sens que les artistes n’ont pas atteint : la construction de leur propre vie » [21]

Depuis la célèbre moustache de Marcel Duchamp (1917) sur la Joconde, des artistes ont ainsi compris que des conditions même de leur production d’œuvre (i.e.: la reproductibilité, ready made, …) et de la diffusion de celle-ci (lieux d’exposition et mise en scène), permettent de créer un terreau propice en art à des expérimentations sociales mais aussi d’exprimer des revendications politiques à propos des représentations, tout en questionnant la triade artistique qu’est l’artiste, l’observateur et l’œuvre elle-même.


BIBLIOGRAPHIE

Benjamin (Walter)., L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, Paris, Gallimard, 2000.

Bernstein (Michèle), « Ralph Rumney la Vie d’artiste », in Anna ou le syndrome de Stendhal, septembre 2010, [en ligne], https://anaoulesyndromedestendhal.wordpress.com/2010/12/01/ralph-rumney-la-vie-dartiste/, consulté le 25 février 2019.

Brecht (Bertolt), Écrits sur le théâtre, Collection Bibliothèque de la Pléiade, n° 470, Gallimard, 2000.

Debord (Guy), « Critique de la séparation », in Œuvres cinématographiques complètes, op. cit., 1962, p. 43-44.

Debord (Guy), La société du spectacle, thèses n°1 et n°30, éditions Gallimard, collection Folio, 1996 (1er éd. 1967)

Debord (Guy), Manifeste I, Internationale Situationniste, n° 4, Juin 1960.

Glinatsis (Robin), De l’art poétique à l’épitre aux pisons d’Horace, Presses Universitaires Du Septentrion, 2018.

Leroux (Georges) (Ed.), Platon La République, Editions Flammarion, 2016.

McLuhan (Marshall), Pour comprendre les médias : les prolongements technologiques de l’homme, Paris, Seuil, 1964.

Mac Lyon (Collection), « Nam Juin Paik », in Mondes flottantes, [en ligne], http://www.biennaledelyon.com/mondes-flottants/les-artistes/nam-june-paik.html, consulté le 25 février 2019.

Maldonado (Guitemie) (dir.) et al., Chronologie de l’histoire de l’art. De la Renaissance à nos jours, Hatier, Paris, 2015

Marcolini (Patrick), « “The Most Dangerous Game” Esthétique et politique du jeu chez les situationnistes », in HAL archives-ouvertes, [en ligne], https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01649347/document?fbclid=IwAR307GzYmjb8DoYJ47OSjnCRgmGIlonP2xnHo9hhosw2Xl0NHeUEvbwlBGY, consulté le 26 février 2019.

Marcus (Greil), Lipstick Traces, Editions Allia, 1998.

Obadia (Claude), « L’éducation dans la République de Platon : une antinomie politique ? », Le Philosophoire, Vol. 33, no. 1, 2010, p. 141-15.

Raymond (Hélène), « Name June Paik : Zen for TV », in Médiamorphoses, 2007, [en ligne], http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/23552/2007_20_114.pdf?sequence=1, consulté le 24 février 2019.

Tomko (Michael), « Politics, Performance and Coleridge’s “Suspension of Disbelief” », in Victorian Studies, Vol. 49 no. 2, 2007, p. 241-249, [en ligne], https://muse.jhu.edu/article/218923/summary?fbclid=IwAR1CM0YV4Xn63yL7fH7l3D2vPVMgcT5FU6U7L3hAsVVnigyus-VuKvfj83E, consulté le 26 février 2019.

Trilnick (Carlos), « Fluxus », in IDIS, 1962, [en ligne] https://proyectoidis.org/fluxus/, consulté le 26 février 2019.

Vautier (Benjamin), Fluxus continue et ne s’arrêtera jamais, Éditions Favre, Paris, 2013.

Walther (Ingo F.) (dir.), L’Art au XXe siècle, Taschen Cologne, 2015.

ICONOGRAPHIE

Ai Weiwei, performance lors du Gala Cinema for Peace, 2016.

Andy Warhol, Campbell’s Soup Cans, 1962, acrylique avec peinture émail métallique sur toile, 32 panneaux, 50.8 x 40.6 cm.

Andy Warhol, Diptyque Marilyn, 1962, acrylique sur toile, 205,4 × 144,8 cm, collection Tate.

Barbara Kruger, Untitled (I shop therefore I am) [Sans titre (J’achète donc je suis)], 1987, montage photographique et sérigraphie sur vinyle, 281,9 x 287 cm, collection particulière.

Conseil pour le maintien des occupations [CMDO], A bas la société spectaculaire-marchande, 1968, affiche (impression offset noir et blanc), 36,5 x 49,5 cm, Bibliothèque nationale de France, Paris.

Claire Fontaine, La société du spectacle brickbat [« brickbat » signifie en anglais à la fois « morceau de brique » et « violente critique »], 2005, brique, papier imprimé, bandeau élastique et colle, 19,1 × 11 × 6,4 cm, collection particulière.

Marcel Duchamp, Fontaine, 1917, porcelaine, 360 x 480 x 610 mm, Tate Gallery 1999, collection Tate.

Marcel Duchamp, L.H.O.O.Q. (La Joconde), 1930, mine graphite sur héliogravure, 61,5 x 49,5 cm, Dépôt Siège national du Parti communiste français.

Nam June Paik, Zen for TV [Zen pour télévision], 1963, téléviseur modifié, 58 x 43 x 36 cm, Museum of Modern Art, New York (États-Unis).

Ralph Rumney, Composition, circa 1960-1970, feuille d’or sur panneau de bois, 152,5 x 152,5 cm, collection particulière.

Sylvain. Raudrant, collectif Alinéaire, Un refuge Latent, exposition “Le jeu vidéo et la migration”, Vaclav Havel (Paris, France), 2015.

Notes de bas de pages

[16] G. Marcus, Lipstick Traces, Editions Allia, 1998.

[17] M. McLuhan, Pour comprendre les médias: les prolongements technologiques de l’homme, Paris, Seuil, 1964.

[18] A. Weiwei, performance lors du Gala Cinema for Peace, 2016.

[19] S. Raudrant, collectif Alinéaire, Un refuge Latent, exposition “Le jeu vidéo et la migration”, Vaclav Havel (Paris, France), 2015.

[20]  C. Obadia, « L’éducation dans la République de Platon : une antinomie politique ? », Le Philosophoire, Vol. 33, no. 1, 2010, p. 141-15.

[21]  G. Debord, Manifeste I, Internationale Situationniste, n° 4, Juin 1960.

En quoi l’art de ces soixante dernières années a fait de la représentation, une question politique ? – Partie 2

Suite de cette dissertation 🙂



En ce sens, ce que dit Debord à propos du cinéma mais aussi de la télévision est que l’instauration de cette dernière au sein même des foyers, introduit la notion de “distanciation” par l’éloignement physique, émotionnel et intellectuel entre la triade de l’œuvre, l’artiste et son spectateur. Cela introduit l’idée d’une rupture communicationnelle entre ces trois synergies (pas de dialogues, de rencontre physique et sociale autour d’une œuvre, d’un événement), et provoque une contemplation aliénante (le fait d’être face à son écran de télévision et de regarder, d’enchaîner – importance de ce terme – les spectateurs aux programmes proposés qui ne sont, plus subi que choisi par celui-ci), ce que Debord nomme être une “activité absente”.

Il y a deux choses intéressantes à noter à propos de Ralph Rumney, qui fonda avec Guy Debord l’Internationale Situationniste en 1957. Dans un premier temps Rumney est un artiste qui s’est intéressé à l’interaction entre “l’esprit et l’espace”. On pourrait qualifier cela encore comme d’un intérêt pour le ressenti émotionnel que l’on peut obtenir sur un environnement et pouvant impacter sur nos comportements. C’est ce que Rumney a nommé la “psychogéographie” [7]. Il a ainsi retranscrit des cartes de villes afin d’exprimer ces idées-là, avec un travail photographique que l’on pourrait qualifier “d’ambiance”. Dans un second temps une observation à faire à propos de Rumney serait son éviction de son propre mouvement par Debord lui-même. Il semble que le motif soit un retard de production d’art. Cependant, de par son accointance avec Debord, on pourrait envisager ici une divergence d’opinion politique ou en tout cas, un manque d’affirmation politique de la part de Rumney : considéré en premier lieu comme un mouvement avant-gardiste, l’Internationale Situationniste s’officialise comme un courant politique par l’essai de Debord puisqu’elle émet une critique sociale du monde moderne, avec des positionnements qui s’avèrent radicaux, surtout envers la culture de masse et le capitalisme, que l’on pourrait qualifier d’ultragauche.

Rumney s’intéresse quant à lui, véritablement plus à l’approche émotionnelle de ce qu’il observe. Il cherchera un sens profond qui fera écho tant à l’artiste qu’au spectateur. En un sens, Rumney est plus proche d’un Klein et d’une approche spirituelle que d’un Debord armé de revendications politiques, bien qu’il sache comme Duchamp, user de l’appropriation et du détournement. C’est ainsi que pour son approche psychogéographique, Rumney cherche le lien entre les lieux et les émotions que l’on ressent de ceux-ci et les comportements que ces lieux provoquent en celui qui y erre. Il dessine ainsi des cartes et des parcours codés et rêvés, avec des signes cabalistiques qui pourront inviter au voyage, certes assez métaphysiques ou oniriques pour le spectateur d’art. Il y a en ce sens de la volonté à ré-impliquer le spectateur dans cette déambulation. Cependant, il n’y a pas de message politique, ni de critique franche, certains diraient extrémiste, comme peut le concevoir et rechercher Debord.

C’est ce que l’on peut observer de son œuvre Composition (1960-1970) et sa série de composition utilisant la feuille d’or : sur l’œuvre Composition de notre corpus, on peut y voir une forme d’immersion ou de mise en abyme, comme au théâtre, jusqu’à une presque fusion totale entre le fond et la forme, d’une représentation de forme d’écran de télévision en or sur bois.

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“J’ai découvert que l’on pouvait tirer de la feuille d’or une multitude de tons. Les nuances sont infimes mais passionnantes. En plus ce sont toutes des couleurs réfléchissantes… Au début, évidemment, c’était du toc, du cuivre, etc., mais j’ai progressivement découvert la vraie feuille d’or.” [8]

Pour Debord, la télévision tout comme le cinéma sont des vecteurs de la pensée capitaliste. Cependant, il y a comme pour  Nam June Paik dans son œuvre Zen for TV, il s’inspire d’une directive de composition [9] de John Cage, Composition 1960 # to Bob Morris. Draw a straight line and follow it [10] (1963), et affiche un désintérêt ou en tout cas un désinvestissement du champs politique dans la création artistique. Bien que politiquement désintéressé, on peut noter qu’il prend conscience de l’outil qu’est la télévision comme média de communication et prend le parti de le détourner. Il observe également que c’est un objet qui a pris tellement de place dans la vie quotidienne, qu’il “remplace la cheminée dans les foyers”. En ce sens, il poursuit son analogie en justifiant son choix de cet objet comme matériau par le fait que tel le marbre d’une cheminée, il est légitime d’utiliser et de détourner de sa fonction initiale l’objet “télévision”. En s’intéressant aux nouveaux moyens de communications, Nam June Paik voit ici une nouvelle façon d’expérimenter, cela lui vaudra la paternité a posteriori d’un nouvel art, l’art vidéo. Il déclare : “ tout comme la technique du collage a remplacé la peinture à l’huile, le tube cathodique remplacera la toile ” [11]. Ce qu’il est intéressant à propos de ce désintérêt politique est le fait de s’affranchir du concept d’aliénation face à l’objet (volontaire ou non) mais aussi des médias de masse diffusant par la télévision leurs programmes “capitalistes”. Le détournement s’effectue par le renversement positionnel, verticale et non horizontale, de la télévision et de la ligne unique qui s’y affiche. Dans son horizontalité, nous aurions pu élaborer la théorie suivante : une représentation d’une mort “cérébrale”, celle d’un encéphalogramme plat, de la mort ou fin d’un programme comme lorsque l’on éteint ces anciens écrans cathodiques. Cette verticalité nous empêche ainsi de nous exprimer sur cette idée, nous supposons alors que cela chercherait plus à élever l’esprit, à chercher à poursuivre “hors du cadre” cette ligne afin de réellement la suivre. Ainsi, l’usage de la télévision comme outil d’expression d’art comme le fait Nam June Paik permet de s’émanciper de son contexte d’émergence, soit la culture de l’image, des représentations et symboles de la consommation.

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En ce sens, ce serait un contre-exemple d’un art issu d’une société de consommation et du spectacle comme l’entend Debord, un art qui ne sert pas à la neutraliser ni à exacerber ses effets que sont ceux de l’aliénation et de la passivité induite. Nam June Paik semble plutôt proposer une réflexion sur ces futurs usages, tels que ceux du punk, issu du mouvement post Mai 68 et post situationniste de Debord, et présentement de la cyberculture.

Debord quant à lui, critique le caractère passif du spectateur, son caractère servile, il ne cherche pas à démontrer ni convaincre mais montrer. Inspiré par les écrits de Marx, Debord n’est pas dans une position ouverte à la discussion mais plutôt dans l’usage de codes propres à la politique : la diffusion d’un message fort avec de l’absolu dans le message. Son essai porte sur ce que va produire l’avancée du capitalisme sur la vie de tous les jours, au travers de la marchandisation des biens, et donc des représentations par l’art. Ce qu’il est intéressant à noter est que Debord semble lui aussi faire preuve de détournement : “société du spectacle” est à mettre en lien avec la “richesse des sociétés” de Marx, soit les richesses produites par les techniques de reproduction fortes (usines, en série, de masse) et donc en lien avec l’aliénation du travail. Pour Debord, il est question d’une aliénation de la société de consommation par la reproduction et multiplicité des marchandises, ainsi que de la prise de distance entre le bien consommé et la libre acceptation par le spectateur à s’aliéner en toute connaissance de cause. C’est le principe et processus d’individualisation induit par le capitalisme qu’il critique et ce, par le fait que le cinéma mais aussi la télévision, distancie le consommateur de ses véritables besoins. Il illustre que par la distance induite entre le produit et le consommateur, il y a une diminution voire disparition de nos rapports sociaux et communicationnels. De fait, le “spectacle” est la forme la plus élaboré du capitalisme en tant que système de propagande d’un modèle mais aussi symbole de notre aliénation volontaire comme le mentionnait Coleridge. C’est en cela que le message de Debord est politique.

Sous l’impulsion des travaux sur le théâtre de Brecht [12] d’inspiration aristotélicienne de la représentation, Debord doit à Brecht la problématique centrale du “spectacle”. En conjuguant les travaux de Brecht à ceux de Marx, Debord observe c’est l’identification affective et les représentations iconiques ne sont plus. Il n’y a ainsi plus de consommation réfléchie mais bien déterminée par le mode de production capitaliste de la culture, culture qui par ses moyens de production capitalistes, démultiplie jusqu’à plus soif les phénomènes de mode. Pour Debord, le spectacle est un théâtre, avec les codes culturels et inconscientes : chose contemplée, valeurs symboliques fortes, donc ça permet au spectateur d’adhérer affectivement à ce qu’il observe par procuration, par sidération, car spectateur passif. De l’artiste au spectateur, il n’y a pas de communication. Pour Brecht et donc pour Debord, il est important de critiquer, d’apporter de la réalité en réduisant la distance et d’interroger.

Afin de poursuivre sur cette idée de critique de la consommation capitaliste de l’image, il nous semblait intéressant de parler des travaux de Warhol et du pop’art. Comme évoqué en début de ce dossier, l’émergence de nouvelles technologies créatives et de nouveaux médias permet aux artistes et créateurs d’avoir accès à davantage d’outils pour s’exprimer mais aussi les détourner. Cependant, les moyens propres à la reproductibilité de grande échelle apportent avec elle des problématiques d’ordre politique et sociale. C’est le cas d’Andy Warhol : avec une production de masse au cœur de son processus artistique, ces œuvres sont tout autant représentatives de son contexte social et économique. En effet, à la même époque, Warhol et les Etats-Unis où il vit connaîtront une quête de faste et une vaste ascension économique que ne vivra que peu le reste de l’Europe, trop occupée à affronter les guerres puis à reconstruire ses territoires. Par son usage de la sérigraphie, Warhol provoque ainsi un raz-de-marée culturel en déversant par milliers et internationalement ses créations. Il use des codes visuels et des icônes de son temps qu’il démultiplie dans ses représentations. C’est là l’incarnation du versant capitaliste que critique vertement Debord. En empruntant aux objets (Campbell’s Soup Cans, 1962) et icônes (Diptyque Marilyn, 1962) du quotidien leur unicité, ce que Walter Benjamin [13] nomme l’aura, Warhol se fait l’instrumentalisation d’une propagande consumériste et capitaliste, il véhicule les valeurs américaines de son temps. Dans cette idée de grande usine capitaliste écrasante et “ lobotomisante ”, Warhol considère que le spectateur n’est finalement qu’un consommateur asservi de plus et par l’usage de la reproductibilité de la représentation, rend uniforme et paupérise son message, le vidant de sa substance pour mieux le distribuer massivement.

Ce que nous observons, c’est que l’arrivée d’une technique comme ici la sérigraphie, mais c’est également le cas avec le cinéma ou encore la télévision comme médium d’expression, provoque un changement dans la nature du lien entre le spectateur et l’œuvre. Auparavant, et de ce que critique justement Debord, la création plastique était marquée d’une singularité par l’action, ancrée dans son temps. Avec la sérigraphie comme avec la télévision, l’œil devient dominant et le créateur n’a qu’un rôle physique minime. A cela s’ajoute la facilité de la reproduction de la création. Le spectateur n’a plus besoin de s’investir pour accéder à une œuvre, on retrouve ainsi ce phénomène de distanciation : l’œuvre lui parvient sur un support individuel et s’expose à lui. Le spectateur ou même ici, consommateur de l’image, est happé, et même disons-le, aliéné dans le réalisme et la proximité apparente qu’il a avec le sujet (on peut par ailleurs, par la reproductibilité technique, posséder une reproduction, une image ou carte postale d’une œuvre d’art sans se déplacer à son lieu d’exposition). Le public s’accoutume à cette sur-représentation visuelle et perd tout recul jusqu’à ne plus réinterroger le message d’une œuvre qui finira par se perdre et se fondre dans la masse.

Face à ce risque de la société spectacle, on peut questionner ses enjeux culturels et sociaux. En ce sens, en France, on observe la création du Conseil pour le Maintien Des Occupations (CMDO) lors de Mai 68, à la Sorbonne et à l’initiative des membres de l’Internationale Situationniste. C’est ainsi que le groupe de Debord prend part à Mai 68, politiquement et avec des valeurs anarchistes, désireux d’en finir avec la dictature marchande et la société des classes. Afin de faire porter leur message, le mouvement CMDO n’hésite pas à détourner à s’approprier tel Duchamp, les moyens de communications et en l’occurrence celui de la publicité et des affiches publicitaires. Leurs préoccupations quant aux luttes des classes transparaissent de façon littérale, comme c’est le cas dans leur affiche en noir et blanc “À bas la société spectaculaire-marchande” (1968). Le titre est explicite, le message, coup de poing.

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Ce qu’il est intéressant de noter, c’est que cet aspect textuel fait appel à un autre mouvement, celui du Fluxus, pluridisciplinaire et sociologique. On le doit entre autres à George Maciunas [14] en 1962, influencé par John Cage et le mouvement dada, s’inscrivant en opposition politique et philosophique, face aux diktats et conventions de l’art académique, des “beaux-arts”. Ce qui est intéressant, c’est que le mouvement Fluxus permet les travaux d’appropriation : puisque tout peut être art, on peut donc s’approprier des concepts, les faire sien, faire corps avec et invectiver le spectateur, l’exhorter par un quelconque message. En outre, ce mouvement avance la notion que chaque individu peut incarner, être, par son essence même, une œuvre d’art. En somme “la vie peut se comprendre comme une composition artistique globale”. Dans cette période contestataire de Mai 68, Fluxus contribue également aux questionnements sur les nouvelles formes d’arts et d’esthétiques mais aussi sur les aspects plus politiques et sociaux de l’art, comme des codes ou du statut de l’œuvre ou encore du rôle de l’artiste. On retrouvera cependant cette idée d’individualité et d’individu-créateur qui déplaît à Debord (puisque c’est une notion propre au capitalisme auquel il s’oppose).

Pour autant, ce mouvement voulait montrer un concept post-marxiste, pour se réapproprier les moyens de production et de distribution de l’art, devenu restrictif et dépendant d’une élite culturelle. Ainsi, conformément à Debord, Fluxus critique le fait que les œuvres d’art sont devenus des produits commerciaux, comme c’est le cas du pop’art de Warhol. Pour communiquer leur valeurs et critiques sociales et politiques, Fluxus emploie lui aussi le détournement, l’humour et la dérision. Son positionnement est donc “anti-art”, voir même se qualifie-t-il “d’art-distraction”, non “sérieux”. En cela, ils se rapprochent philosophiquement des travaux de Duchamp quant au détournement et au rejet d’aspect de l’art : ici la normalisation, la standardisation de l’art.

Fluxus propose dans une de ses formes, de passer par le recours de la revendication et de l’appropriation textuelle. Ainsi, on peut observer et comparer le CMDO avec les travaux de Ben (Benjamin Vautier) [15] sur les écritures et la signature, qui sont autant de commentaires que de vérités et qui apparaissent tout aussi brutalement qu’une affiche publicitaire, par le regard du spectateur. Cette forme d’injonction apostrophe le public.

Cette forme d’art n’est pas sans rappeler celle d’une autre artiste, qui pourtant n’appartient pas au mouvement Fluxus : Barbara Kruger. Dans son œuvre I shop therefore I am, de 1987, elle impose au regard du spectateur un montage photographique qui se présente comme une injonction tournée vers celui qui l’observe. Comme le CMDO, Kruger reprend les codes de la publicité en cherchant à attirer le regard : fond en noir et écriture en blanc, utilisation d’une seule couleur saturée qu’est le rouge, texte provocateur et qui utilise des pronoms afin d’interpeller le spectateur. Ici, le slogan traduit en français propose la phrase suivante : “J’achète donc je suis”. C’est un énoncé fermé et autoritaire. Artiste politique bien que ne se revendiquant pas comme “activiste”, Kruger cherche à questionner le langage tout en réduisant la condition humaine à une action de consommation. L’artiste ne cherche pas la complaisance du spectateur, au contraire, le but est de le bousculer, ce qu’elle fait par l’usage des pronoms personnels. Ce qui est intéressant, c’est que l’usage des pronoms permet deux choses : interpeller, mais aussi faire entrer le public dans un échange finalement à sens unique. Les messages de ces œuvres se trouvent alors être impersonnels.

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Fin du billet 2 !

Notes de bas de pages

[7] P. Marcolini, « “The Most Dangerous Game” Esthétique et politique du jeu chez les situationnistes », in HAL archives-ouvertes, [en ligne], https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01649347/document?fbclid=IwAR307GzYmjb8DoYJ47OSjnCRgmGIlonP2xnHo9hhosw2Xl0NHeUEvbwlBGY, consulté le 26 février 2019.

[8] M. Bernstein, « Ralph Rumney la Vie d’artiste », in Anna ou le syndrome de Stendhal, septembre 2010, [en ligne], https://anaoulesyndromedestendhal.wordpress.com/2010/12/01/ralph-rumney-la-vie-dartiste/, consulté le 25 février 2019.

[9] H. Raymond, « Name June Paik : Zen for TV », in Médiamorphoses, 2007, [en ligne], http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/23552/2007_20_114.pdf?sequence=1, consulté le 24 février 2019.

[10] Idem. “Tracez une ligne droite et suivez-là » [Traduction de l’auteur]

[11] C. Mac Lyon, « Nam Juin Paik », in Mondes flottantes, [en ligne], http://www.biennaledelyon.com/mondes-flottants/les-artistes/nam-june-paik.html, consulté le 25 février 2019.

[12] B. Brecht, Écrits sur le théâtre, Collection Bibliothèque de la Pléiade, n° 470, Gallimard, 2000.

[13] W. Benjamin, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, Paris, Gallimard, 2000.

[14] C. Trilnick, « Fluxus », in IDIS, 1962, [en ligne] https://proyectoidis.org/fluxus/, consulté le 26 février 2019.

[15] B. Vautier, Fluxus continue et ne s’arrêtera jamais, Éditions Favre, Paris, 2013.

En quoi l’art de ces soixante dernières années a fait de la représentation, une question politique ? – Partie 1

Seconde dissertation académique s’appuyant cette fois-ci sur un corpus d’œuvres issus des travaux de Guy Debord, Platon, mais encore d’un corpus arts plastiques, avec une réutilisation de ma précédente dissertation (et oui, parfois on se cite et se recycle). Puis, toujours des réflexions personnelles afin d’agrémenter et donner une tournure intéressante à la problématique formulée.



Lorsque l’on s’intéresse à une œuvre d’art, il est important d’étudier son contexte social, historique, économique mais aussi politique. Cela permet de mieux interpréter et de comprendre les intentions de son auteur. C’est aussi une façon pour le lecteur de mieux comprendre l’époque dans laquelle une œuvre s’inscrit. Ainsi, on peut observer par exemple que les œuvres de Andy Warhol et ses Campbell’s Soup Cans en 1962, sont un reflet de son époque puisqu’il utilise une représentation culturelle de son temps, et nous montre que son usage systématique et avec une production digne d’une usine de la sérigraphie, qu’il incarne et diffuse des valeurs capitalistes américaines post Seconde Guerre Mondiale. En cela, nous allons nous intéresser en quoi l’art de ces soixante dernières années a fait de la représentation, une question politique.

Depuis Platon [1] (428 av. jc – 347 av. jc), divers auteurs se sont intéressés au travail d’imagination, de narration et des effets que provoquent l’exposition d’une œuvre sur le regard du spectateur. En 1817, Samuel Taylor Coleridge [2] publie un essai sur la création et la lecture de la poésie. Il suggère que si un artiste parvient à rendre vraisemblable une œuvre, le spectateur pourra parvenir à un état qu’il nomme de “suspension consentie de l’incrédulité”.  Dès que le spectateur consent à l’idée d’une possible vraisemblance dans le récit, celui-ci est apte à expérimenter par la simulation, ce que la situation lui propose : des émotions factices, amenant à un état qu’Aristote nomme de l’expérience faite du théâtre, la catharsis.

Cela signifie que contrairement à l’idée de Platon où l’artiste “est responsable” de la tromperie qu’il offre au regard du spectateur, ce même spectateur qu’il juge “inapte” à déceler la tromperie et s’en détacher, consent ici à tromper son propre esprit et à accepter l’illusion de la réalité proposée. L’aliénation et la sublimation des émotions et des pulsions sont librement consenties et même, recherchés par un spectateur en quête d’émotions factices.

Cette réflexion quant à l’aliénation du spectateur ainsi que du travail de l’artiste traverse les époques à chaque révolution technologiques, sociales, politiques : bien qu’issu des réflexions platoniciennes et aristotéliciennes, Coleridge emprunte à Horace [3] (65 av. jc – 8 av. jc) et ses travaux sur l’art poétique (Ars Poetica), cette idée de “suspension consentie de l’incrédulité”. L’art Poétique est une discipline encadrant les règles de création d’une œuvre d’art littéraires telle que la poésie. Elle est en outre remise en question par tous les travaux de réflexions sur l’esthétique qui cherchent à comprendre comment le spectateur peut percevoir intellectuellement une œuvre et comment il peut être sensible à celle-ci.

Depuis Platon toujours, on a pu observer de grands changements civilisationnels, comme ce fut le cas pour le Moyen-Âge ou encore la Renaissance. C’est à partir de l’avènement de l’industrialisation et donc au plus proche de notre époque moderne que nous pouvons constater de très grandes et récentes remises en question sur l’homme. Elles font généralement toutes suite à de grands bouleversements politiques, dont des guerres totales et mondiales, et sociaux, avec des grandes émancipations et réinterprétations de rôles et genres au sein de nos sociétés.

Dans nos soixante dernières années, nous avons pu en outre observer suite à la reconstruction de la Seconde Guerre Mondiale, une période de faste : le plein emploi, l’essor économique, le retour du divertissement et des vagues d’arts en tout genre. Également, ce fut l’occasion d’observer la fin de divers conflits armés tels que la guerre d’Indochine, des conflits sociaux comme ce fut le cas avec Mai 68, ou encore l’éclatement de l’U.R.S.S. ainsi que la séparation puis réunification de l’Allemagne avec la chute du mur de Berlin, la guerre du Golfe, et bien d’autres encore…

C’est dans cette époque troublée, en amont de Mai 68 que nous allons commencer à étudier en quoi l’influence des réflexions platoniciennes sur l’art poétique au travers des travaux de Guy Debord et son essai La société du spectacle [4] et par l’intermédiaire de son mouvement situationniste créé avec Ralph Rumney [5], mettent en avant que l’art ait pu faire de la représentation, une question politique. Dans son œuvre, Debord s’appuie sur les théories sur l’art de Platon et d’Aristote. Il observe dès 1957, lors de la fondation de son mouvement l’Internationale Situationniste (fusion de mouvements d’avant-garde dont l’International Lettriste), que l’art de son époque semble se fourvoyer et ne proposer au spectateur que des formes illusoires, aliénantes par sa capacité cathartique. Nous pouvons d’ailleurs relever que c’est cette même époque qui vit l’arrivée fracassante de la télévision.

La télévision, comme le cinéma avant elle et antérieurement la photographie, s’offre un “boom” médiatique par l’émergence même de sa technologie. Ce nouveau média, propose en outre un nombre varié de programmes et de divertissements pouvant être observé individuellement. La presse de l’époque semble même qualifier cette technologie comme un nouvel outil de communication. Les situationnistes, dont Guy Debord, pensaient déjà que le cinéma était un “spectacle cinématographique mondial”. C’était pour eux un moyen de montrer la relation existante entre le théâtre et la société, un rapport de distanciation par induction d’une passivité chez les spectateurs, en les éloignant les uns d’autres à travers le dispositif et vis à vis du médium artistique qu’est le cinéma.

Concernant la télévision, Guy Debord dans son extrait de La société du spectacle (1967) évoque que l’arrivée de la télévision a pu permettre une multiplicité et un principe d’accumulation de spectacles. Cependant, il compare ce principe de consommation d’art comme étant une forme “d’aliénation du spectateur au profit de l’objet contemplé”. En cela, Debord semble retomber sur les principes d’aliénations à la fois platonicien mais aussi convenir au principe de “suspension consentie de l’incrédulité” de Coleridge : plus proche de l’approche platonicienne, Debord exprime l’idée que cette forme de contemplation passive et volontaire, conduit le spectateur à s’éloigner des émotions ainsi que du réel. En quelque sorte, ce que décrit Debord, sont les prémices d’une société de consommation dont l’aliénation par les loisirs (ici les arts du spectacle), permettent de contrôler, de régenter les futurs besoins du spectateur.

« Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s’annonce comme une immense accumulation de spectacles. Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation. […] L’aliénation du spectateur au profit de l’objet contemplé […] s’exprime ainsi : plus il contemple, moins il vit ; plus il accepte de se reconnaître dans les images dominantes du besoin, moins il comprend sa propre existence et son propre désir. » [6]

Fin du billet 1 !

Notes de bas de pages

[1] G. Leroux (Ed.), Platon La République, Editions Flammarion, 2016.

[2] M. Tomko, « Politics, Performance and Coleridge’s “Suspension of Disbelief” », in Victorian Studies, Vol. 49 no. 2, 2007, p. 241-249, [en ligne], https://muse.jhu.edu/article/218923/summary?fbclid=IwAR1CM0YV4Xn63yL7fH7l3D2vPVMgcT5FU6U7L3hAsVVnigyus-VuKvfj83E, consulté le 26 février 2019.

[3] R. Glinatsis, De l’art poétique à l’épître aux pisons d’Horace, Presses Universitaires Du Septentrion, 2018

[4] G. Debord, La société du spectacle, thèses n°1 et n°30, éditions Gallimard, collection Folio, 1996 (1er éd. 1967)

[5] P. Marcolini, « “The Most Dangerous Game” Esthétique et politique du jeu chez les situationnistes », in HAL archives-ouvertes, [en ligne], https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01649347/document?fbclid=IwAR307GzYmjb8DoYJ47OSjnCRgmGIlonP2xnHo9hhosw2Xl0NHeUEvbwlBGY, consulté le 26 février 2019.

[6] G. Debord, La société du spectacle, thèses n°1 et n°30, éditions Gallimard, collection Folio, 1996 (1er éd. 1967). 

Comment les logiques de reproductibilité numérique modifient-elles le rapport du spectateur à l’œuvre d’art et au monde ? – Partie 2

Suite et fin de la dissertation académique s’appuyant sur un corpus d’œuvres issus des arts plastiques, des travaux de Walter Benjamin, mais aussi de réflexions personnelles quant à l’usage de la gamification, de l’usage des réseaux sociaux, de l’intérêt de la sociocritique, …

V) La reconnexion de la reproductibilité avec le réel

L’œuvre de Wafaa Bilal Domestic Tension, Shoot an Iraqi (2007) [10] nous parle elle aussi d’une forme de distanciation physique du spectateur envers le réel. À notre sens, elle permet de dénoncer et de permettre une prise de conscience quant à nos usages actuels du numérique.

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Enfermé dans la pièce de son œuvre, Bilal s’expose en tant qu’artiste au regard du spectateur. Le public de par le monde peut à loisir choisir de lui tirer des balles de paintball dessus ou non en interagissant avec une interface numérique (site internet). C’est une œuvre qui comme celle de Ai Weiwei se veut engagée politiquement. Ici, elle permet un parallèle avec les conflits armés qui font rage dans le pays de l’artiste et dénonce également les enjeux de propagande, ainsi que la désertion du réel par la nature technologique de la guerre des drones.

Ainsi l’œuvre peut exister et gagne en sens par la multiplicité des actions produites par les “joueurs” et leur coordination. Ce procédé permet de montrer la facilité avec laquelle l’homme, privé ou absous des contraintes et normes sociales, peut se permettre des abus idéologiques et moraux que l’on retrouve également dans l’application des principes de gamification de certains jeux vidéo, notamment les jeux de guerre. Par exemple, avec le jeu de guerre America’s Army, Us Army (Ubisoft, 2002) commandé par l’armée américaine elle-même, on assiste à la création et la légitimation d’un dispositif véhiculant une forte idéologie : le jeu propose une simulation où le joueur est soldat de l’armée Américaine. Celui-ci est virtuellement investi dans le combat. En cas de score remarquable, il se voit invité à rejoindre officiellement l’armée, soit “en dehors de l’écran” afin de continuer le combat “en vrai”. Cela pose le problème de la distanciation par le numérique : quelle différence y a-t-il alors entre l’action virtualisée et “à distance” et le passage à l’acte ou tout du moins à la réalité “vraie” ?

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La performance de Bilal n’est pas sans rappeler Rhythm 0 (1974) de Marina Abramovic [11]. Nous pensons légitime de mettre en parallèle ces œuvres et d’allouer cette ressemblance comme étant une forme de reproduction. Celle-ci permet alors une réactualisation moderne de l’œuvre et de son concept. Par ailleurs, le travail de Wafaa Bilal semble réintroduire une unicité de l’œuvre et un hic et nunc comme chez Abramovic, malgré la dimension de reproductibilité numérique inhérente à sa production.

Au travers de leurs performances et en considérant celles-ci comme un ensemble, s’opère un va-et-vient entre le spectateur et l’artiste et son œuvre. C’est une réponse entre la partie numérique de l’œuvre et son pendant physique, une correspondance et interdépendance entre les actions des uns et des autres, ce qui donne à l’œuvre son existence : sans l’interaction des spectateurs, l’œuvre ne serait pas. Dans l’œuvre de Bilal, le numérique sert de support aux spectateurs qui s’investissent alors totalement dans l’œuvre. On observe ainsi également un paradoxe entre leur distanciation de l’action et du réel par le dispositif de tir “gamifié” et leur proximité dans les coups portés à l’artiste physiquement.

La performance de Marina Abramovic la met à disposition totale des spectateurs présents. Elle propose aux spectateurs d’user librement de divers objets pouvant provoquer de la destruction ou du plaisir sur son corps. La performance s’est achevée au bout de six heures, suite à une rixe entre ceux présents souhaitant abuser d’elle et ceux lui reconnaissant une humanité. Pour Bilal, il du débrancher son installation, après que son dispositif ait été “hacké” et que les tirs sporadiques soient devenus continus sur sa personne. Cependant, comme pour la performance de Abramovic, on peut observer que malgré l’aspect numérique de l’œuvre, Bilal ait aussi eu des protecteurs rassemblés sous le nom de “Virtual Human Shield” qui tentaient de dévier les tirs pour l’en protéger. À la différence de Bilal, Abramovic en son temps à pu bénéficier de la concrétude du réel de son œuvre pour que d’eux même, les participants vivent un sursaut collectif de conscience quand les spectateurs distanciés du réel de Bilal n’ont pas pu avoir accès à cela, du fait de l’emploi du numérique.

Dans cette volonté de reconnexion avec le sens du message, l’autre et l’ici et maintenant, des artistes proposent comme c’est le cas de la création “We Are Fine, We’ll Be Fine” (2015) [12], de ramener le spectateur au centre de l’œuvre. Au travers de cette œuvre, il est question de ré-humaniser le spectateur, de le reconnecter avec le réel. Pour se faire, des récits ne peuvent être partagés que si les participants se connectent les uns aux autres, en interagissant avec l’œuvre physiquement mais aussi entre spectateur en se touchant les mains.

L’artiste est ici mis de côté afin de laisser les spectateurs devenir le véhicule et réceptacle de son œuvre. Ils s’imprègnent de son message et de sa valeur comme l’aurait souhaité Klein avec l’IKB. Le concept de sympathie que propose d’expérimenter cette œuvre demande à ses spectateurs une implication totale : entendre un message unique délivré dans un ici et maintenant, dans le réel.

La reproductibilité est ici proche de celle d’un conteur, le numérique n’est qu’une technique pour diffuser le message. De plus, cette œuvre impose au spectateur une écoute de son hic et nunc : au Canada, les revendications sociales sont un réel combat bien plus qu’en France. Les droits et différences culturelles et sociales sont reconnus et mais partiellement acceptés. La question des droits des premières nations par exemple, comme ceux des personnes LGBTQIA2+ sont toujours questionnés, et appellent à la revendication et au militantisme.

VI) Conclusion :

Les problèmes sociaux sont ainsi fait art, et comme l’évoque Benjamin “vous vous rappelez comment Platon procède avec les poètes dans son projet d’État. Au nom de l’intérêt collectif, il leur refuse le droit de séjour. Il avait une haute idée du pouvoir de la poésie” [13]. Si l’on transpose ici l’idée que les dieux de Platon et d’Homère sont garants de nos cadres moraux et sociaux et qu’on ne peut les critiquer ni dénaturer leur image, cela permet à l’artiste de mettre en lumière par la critique sociale, la violence et la stratification sociale de nos comportements.

Au travers des œuvres d’Atget nous dit encore Benjamin, “la technique [qui] n’autorise plus la “contemplation détachée”, en accoutumant l’appareil sensoriel humain à la “réception tactile” qui devient son modèle”. Pourtant, nous retrouvons dans l’œuvre Canadienne comme dans celles d’Ai Weiwei, Bilal, ou encore du collectif Alinéaire, l’empreinte d’une visée socio-politique moderne et actuelle qui se veut défier la technique et ainsi, cherche à défier la structure de la perception.

Ainsi, parallèlement et au fil des siècles, les tournants dans la technicité ont permis l’émergence de nouvelles formes de reproduction. Du passage de l’oralité à l’écriture, de la reproduction manuscrite à l’invention de l’imprimerie, force est de constater que la reproductibilité technique permet une production et diffusion du savoir plus importante, à un rythme effréné. On peut par ailleurs observer que depuis l’arrivée de l’imprimerie, la reproduction et diffusion ont permis d’autres progrès technologiques, mais aussi des améliorations scientifiques et sociales importantes de même que des mouvements de revendications.

Toute évolution technologique majeure tend à provoquer un changement dans la conception du monde, proposée par l’œuvre, la création elle-même, mais aussi au sein des us et coutumes de chaque société. Il s’agit d’explorer ainsi un nouvel aspect de notre réalité, parfois artificielle comme c’est le cas avec l’entrée dans l’ère numérique. La question des moyens de transmission est ici primordiale : l’accès instantané par internet à toutes les œuvres du monde (entier ou presque) est évident, mais continue-t-il à nous transformer et changer notre relation à l’œuvre d’art et au monde pour le meilleur ?

Plus encore, la prise de distance avec le réel que propose le numérique par la reproductibilité invite le spectateur consommateur d’œuvres et de biens, à devenir lui-même acteur en proposant du contenu, ce que l’on appelle un prosumer. Pour autant, on peut observer au travers des œuvres étudiées dans ce dossier que cette distanciation introduit une fluctuation dans les agissements humains, provoquant une polarisation (« extrémisation ») des comportements réels ou virtuels. Le spectateur devient acteur, l’acteur spectateur, les codes sont renversés, revisités, transcendés.

Le tout numérique pose alors la question de la neutralité de l’œuvre, mais aussi de son médium. Le parallèle que nous avons pu observer dans l’écriture et l’étude de ce dossier nous renvoie à la question de la “neutralité du net” et de ce que tout un chacun partage, artiste comme spectateur. Dans l’œuvre de Benjamin, celui-ci évoque Platon et la remise en question du contre-discours, celui de la revendication et du militantisme. Il nous apparaît alors que le discours de l’artiste, toujours contextualisé et in fine politisé, souffre plus de son médium de transmission que de son message divergent. Malgré tout, il nous semble discerner les prémisses d’un changement, une volonté des individus à se reconnecter au réel en se déconnectant des moyens de reproductibilité et du numérique. À collaborer ensemble, artistes et spectateurs, à se réapproprier le monde, l’unique, l’ici et maintenant.

 

Annexes

Annexe 1

La Gala Cinema for Peace est une initiative humanitaire mondiale, crée en 2002 qui est déroulé chaque année lors du festival international du Cinéma à Berlin. Les membres participants sont majoritairement issus de la communauté cinématographique internationale. Les médias, politiques et personnalités publiques sont invités afin de promouvoir la paix, la liberté et la tolérance et d’entreprendre des projets innovants, d’échanger et partager des idées, autour des initiatives humanitaires. [14]

Annexe 2

En cela, le Québec, avec sa minorité francophone, ne se retrouve pas dans le contenu proposé par Netflix. En cela également, les artistes et studios Québécois ne peuvent pas non plus proposer de contenus diversifiés. Il est cependant à noter que l’an dernier, une discussion devait être amorcée quant aux possibilités de financements et taxation de Netflix afin d’adopter un système proche de la France et du CNC. En France, le CNC, permet un soutien financier aux créations visuelles française (cinémas, séries télévisuelles et d’internet, jeux vidéo) et réglemente le nombre de productions étrangères avec un système de taxes et pourcentages d’œuvres diffusables dans les cinémas, afin de limiter l’expansion de l’hégémonie culturelle principalement américaine.

 

Notes de bas de page

[10] BILAL Wafaa, Domestic Tension, Flatfile gallery à Chicago, mai-juin 2007.

[11] Medias Partisans GmbH. (S.D). Retour sur la performance poignante de Marina Abravomic il y a 43 ans. L’astucerie. Répéré de : https://www.lastucerie.fr/marina-abramovic/?fbclid=IwAR2LPKzzqxkEVTgduNUGRACwJpvpDObpiFsiMORXC7NpJm197AFsG-cLMWo

[12] PACAMPARA Nicole, OLOU Raoul, ERIN PHILLIPS Hope, BELL Owen, We Are Fine, We’ll Be Fine, Dissonant Integrations, Centre d’art ethnoculturel de Montréal, 2015.

[13] BENJAMIN Walter cité par BENJAMIN Walter, Essais sur Brecht, La Fabrique, 2003, cité par BENJAMIN Walter, L’oeuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, dossier complémentaire de DOUSSON Lambert et lecture d’image par LUSTE BOULBINA Seloua, version 1939, Barcelone, Folioplus philosophie 20e siècle, 2015 pp.95-97.

[14] 2018 Annual.(S.D). Cinema for Peace Gala. Berlin, Allemagne: Cinema For Peace Foundation. Récupéré de :  https://www.cinemaforpeace-foundation.org/aboutgala/

VII) Bibliographie :

ATGET, E., Passage du Grand-Cerf, 145 rue Saint-Denis, Juin 1907.

BENSAUDE-VINCENT, B., « Slow versus fast : un faux débat », Natures Sciences Sociétés, 2014/3 (Vol. 22), p. 254-261. Répéré de : https://www.cairn.info/revue-natures-sciences-societes-2014-3-page-254.htm

BEAUDOUIN, V., Prosumer. In: Communications, 88, 2011. Cultures du numérique [Numéro dirigé par Antonio A. Casilli] sous la direction de Antonio A. Casilli. pp. 131-139.

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RAUDRANT Sylvain, collectif Alinéaire, Un refuge Latent, exposition “Le jeu vidéo et la migration”, Vaclav Havel (Paris, France), 2015.

WEIWEI Ai, performance lors du Gala Cinema for Peace, 2016.

Comment les logiques de reproductibilité numérique modifient-elles le rapport du spectateur à l’œuvre d’art et au monde ? – Partie 1

Dissertation académique s’appuyant sur un corpus d’œuvres issus des arts plastiques, des travaux de Walter Benjamin, mais aussi de réflexions personnelles quant à l’usage de la gamification, de l’usage des réseaux sociaux, de l’intérêt de la sociocritique, …

I) Introduction :

Aussi loin que l’on puisse observer, des peintures rupestres, aux estampes japonaises, la question de la reproduction en art a toujours existé. Pour certains, le travail de reproduction a longtemps été considéré comme une pratique d’acquisition de la technicité afin d’accéder au niveau du maître ou pour parachever une œuvre, une façon d’accéder à la transcendance par la technique. Il peut aussi être question de rendre hommage ou de faire des clins d’œil aux sources d’inspirations d’un autre artiste, de se réapproprier et d’actualiser un discours passé qui trouve écho en l’artiste et en son temps.

Dans les concepts que nous avons pu étudier avec Walter Benjamin [1], l’aura et le hic et nunc sont les deux plus importants que nous avons retenu. Le concept d’aura nous parle du caractère unique d’une œuvre. Ainsi, plus celle-ci est reproduite et plus elle perd en unicité. Le hic et nunc, soit l’ici et maintenant de la création, propose de placer l’œuvre en son temps, lui donner sens et vie au sein de son contexte d’émergence.

 

 

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En cela, la reproductibilité questionne le caractère intrinsèque de l’œuvre. Peut-elle encore retrouver son unicité, son authenticité, cette “aura” dont nous parle Benjamin (1939) ainsi que son hic et nunc du moment de sa création ou s’inscrit-elle uniquement dans son lieu de représentation ? Sa durée matérielle se retrouve-t-elle dans le fait de reproduire ? À l’ère du numérique, est-il possible de retrouver ces valeurs et ce sens du témoignage ? Comment ces changements paradigmatiques peuvent-ils affecter le rapport à l’œuvre, au monde, au spectateur ?

En plus de la question des logiques de reproductibilité, qu’elles soient numériques ou non, nous avons observé au travers de notre dossier que les moyens de diffusions avaient tout à voir avec la modification des rapports entre l’œuvre d’art et le monde, l’œuvre d’art et le spectateur, mais aussi entre le spectateur et le monde avec son rapport au temps et à l’espace. Nous avons aussi pu observer un changement paradigmatique, dans le format de consommation d’œuvres mais aussi un changement de position du spectateur, rendant celui-ci acteur voire contributeur d’une œuvre.

II) L’aura face à la reproductibilité

Dans l’œuvre de l’activiste Ai Weiwei (2016) [2], soulevant l’horreur que vivent les réfugiés traversant guerres et mers, la reproductibilité photographique numérique montre l’intérêt que peut avoir la perte partielle de l’aura dans une œuvre. A travers l’ensemble des selfies pris par les téléphones portables des invités vêtus de couvertures de survie dorées lors du Gala Cinema for Peace, nous observons différentes perspectives de l’œuvre de Ai Weiwei. On y retrouve l’idée de portrait et de présence humaine apportant une notion d’aura. Cependant, en multipliant les représentations numériques par le médium de diffusion (Instagram, internet en général) le message perd de son intensité ainsi que de son aura au profit d’une valeur d’exposition sur les réseaux sociaux, détachés du hic et nunc de l’œuvre initiale.

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Eugène Atget dans Passage du Grand-Cerf, 145 rue Saint-Denis (1907) [3], utilise-lui aussi la photographie dans un but d’exposition documentaire, immortalisant un contexte historique précis, que Benjamin définit comme représentatif d’une absence de l’humain [4]. Dans ce contexte de pré-guerres, cette technique de reproduction va opérer un glissement paradigmatique : des œuvres porteuses de valeurs cultuelles fortes et intenses (l’aura que l’on peut retrouver dans les portraits), à des œuvres tournées vers des valeurs d’expositions destinées à un public plus large que l’on peut atteindre par le biais de la reproduction massive. En somme, avec la reproduction d’une œuvre, particulièrement par la photographie, on observe une dépréciation de l’authenticité, de la perte en intensité du message véhiculé au fil des copies. L’aura diminue jusqu’à disparaître lorsqu’il n’y aura plus du cliché original, de quoi le différencier de la masse, d’un tout.

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Certains artistes ont cependant cherché à élever ce procédé qu’est la reproductibilité technique et numérique au rang d’art. Au risque d’amoindrir l’aura de leurs œuvres jusqu’à l’effacer entièrement par une méthode de reproduction industrielle. On peut notamment citer Klein par l’utilisation systématique du pigment pur bleu d’outre-mer qu’il revendique et labellise, ou encore plus spécifiquement Warhol par l’usage de la sérigraphie et de la création de son atelier qu’il nomme fort à propos “factory”, son usine de “création-reproduction”.

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Klein dans son utilisation monochromatique, cherche à atteindre et transmettre un pan de sa philosophie qu’est la quête d’immatérialité. Une quête de sens que l’on pourrait rapporter à son contexte d’individu née entre-deux-guerres et souhaitant s’échapper du monde détruit qu’est le sien. Son besoin de revendiquer et de s’approprier une forme de technique de reproduction nous apparaît comme l’illustration d’un manque vécu, d’une faim insatiable. Par ailleurs, Klein dépose par enveloppe Soleau sa création “narcissique”, l’IKB (International Klein Blue), un matériau “parfait”, imperturbable et durable par phénomène d’imprégnation qu’il emploiera systématiquement ou presque pendant quinze ans.

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Pour Warhol, ses créations produites “à la chaîne” sont tout autant représentatives de son contexte: il connaît aux États-Unis la quête de faste que ne vivra que peu la France affrontant les guerres et qui aura à reconstruire son territoire. Par la sérigraphie, Warhol peut ainsi provoquer un raz-de-marée culturel en déversant par milliers et internationalement ses créations. Empruntant les codes visuels et icônes de son temps, partageant comme un propagandiste sa vision consumériste du monde, Warhol se défait de l’aura mais aussi du hic et nunc. À la façon d’une grands usine capitaliste écrasante et lobotomisant, Warhol considère que le spectateur n’est au final qu’un consommateur asservi de plus et par l’usage de la reproductibilité, uniformise et paupérise son message, le vidant de sa substance pour mieux le redistribuer.

III) La question de la consommation par la globalisation des modèles de reproductibilité

Nous l’observons, l’arrivée d’une technique, ici la sérigraphie, la photographie ou encore le cinéma comme médium d’expression provoque un changement dans la nature du lien entre le spectateur et l’œuvre. Auparavant, la création plastique était marquée d’une singularité par l’action, ancré dans son temps. Avec la photographie et la sérigraphie, l’œil devient dominant et le créateur n’a qu’un rôle physique minime. A cela s’ajoute la facilité de la reproduction de la création. Le spectateur n’a plus besoin de s’investir pour accéder à une œuvre, elle lui parvient sur un support individuel et s’expose à lui En un sens, cela permet un deuxième glissement : le spectateur peut devenir l’élément central d’une œuvre de par sa capacité de réception et d’interaction avec celle-ci.

Après la période de faste que l’on à pu connaître jusqu’en 1980-1990, la frénésie à la consommation semble doucement ralentir au point qu’émergent suite à des problématiques de crises économiques, sociales et environnementales mondiales répétées, des mouvements d’alter-consommations. On peut citer ceux du mouvement “Slow Science” [5]: l’idée est de reprendre le temps de vivre et de “consommer moins mais mieux” et de repenser l’humain, le consommateur, comme acteur actif et conscient de sa consommation (en somme le concept de prosumer d’Alvin Toffler, 1980). D’abord apparu en Italie avec Carlos Petrini en 1989 à propos de l’alimentation “Slow Food”[6] avec l’idée du bien/mieux manger, ce mouvement finalement antilibéral s’étend maintenant à toutes les sphères comme l’entreprise mais aussi celle de l’industrie culturelle.

Bien qu’inégalement répartie, on peut retrouver cette forme de “‘débranchement” dans la consommation numérique au Canada et principalement au Québec, avec le cas de Netflix (en France, Netflix conquiert pour l’instant toujours plus d’abonnés). La principale raison du manque d’adhésion à cette plateforme au Québec et que nous ne retrouvons pas en France, est due au manque de soutien et protectionnisme de la part de la province Québécoise dans les moyens financiers permettant de soutenir les créations locales, afin de lutter contre le phénomène de globalisation culturelle. Car Netflix, comme le cas d’autres géants de la production culturelle, propose une hégémonie culturelle globale, comme les icônes d’Hollywood ou son alter égo indien qu’est le Bollywood [7].

La reproductibilité à l’ère du numérique et sa diffusion globale, soit son effet de mondialisation que l’on retrouve tant chez Netflix que par les productions en séries de Warhol, contribuent en somme à une mort lente de la créativité, de son principe d’aura et du hic et nunc propres à Benjamin.

IV) La reproductibilité aveuglant le peuple

Pour le théoricien de la communication Marshall McLuhan [8], l’importance au long terme dans l’arrivée d’un nouveau média tient davantage dans le médium en soi que dans son contenu. L’impact d’un média se fait ainsi surtout sentir dans les nouvelles interactions et perceptions du monde qu’il permet que dans les propos même qu’il porte. De plus, en appliquant cette pensée à la reproductibilité numérique qui nous est contemporaine, on peut souligner qu’une grande part de la nouveauté qu’elle permet est non seulement une démultiplication de la forme, mais surtout une possibilité de diffusion à grande échelle dépassant les médias précédents. Ce potentiel de diffusion et d’instantanéité propre au numérique ouvre de nouvelles possibilités et pose des questions dans le domaine de l’art.

Nous pouvons constater que les artistes contemporains se saisissent de ces nouveaux médias comme matériaux pour leurs travaux. Ai Weiwei lors du Gala Cinema for Peace fait directement référence aux horreurs vécues par les réfugiés des années 2000. L’événement créé ainsi une polémique en juxtaposant ce rassemblement mondain à l’obscénité des scènes migratoires se jouant à des centaines de kilomètres de là et que nous pourrions tout à propos juxtaposer à celles des années 1900. Ces couvertures dorées censées véhiculer un sentiment de solidarité aux migrants par les réseaux sociaux ne parviennent qu’à montrer le décalage du luxe et mettent en lumière l’égocentrisme qu’ont ces moyens de revendication sur internet : ils n’ont pas d’impact, ils sont vains et vaniteux, immoraux et moqueurs de situations terribles. Ai Weiwei montre l’illusion d’un sentiment d’action que nous pouvons avoir avec nos usages des réseaux à diffusion instantané, l’inutilité de cette “solidarité faite de hashtags”. Le spectateur prend certes part à l’œuvre et lui permet de se démultiplier mais par la numérisation il est littéralement et paradoxalement “déconnecté” de l’action du message porté, une mise à distance du réel que dénonce l’artiste.

Toujours dans cette distanciation du réel, on peut mettre en lien le travail de Ai Weiwei avec celui de Sylvain Raudrant dans l’œuvre Un refuge Latent (2015) [9] du collectif Alinéaire. Dans cette installation, Raudrant veut nous montrer la réalité que vivent les migrants, soulignant la négligence que l’on porte aux migrants. On retrouve ici l’idée d’un spectateur asservi mais aussi asservissant, sourd et aveugle au monde, incapable de se penser et de repenser le monde qui l’entoure ni d’inclure. Du fait de la retransmission sur écran du parcours du spectateur, celui-ci qui passait aveugle de son milieu, devient partie prenante de l’œuvre. L’artiste prend le rôle d’un éducateur qui ouvre les yeux du spectateur, sur ce qu’il ne veut ni ne pouvait voir. Ainsi, le spectateur observe à la fin de sa déambulation sa propre image entourée de migrants : l’écran, malgré sa distanciation vis à vis du réel révèle une image invisible pour le spectateur.

La déconnexion du réel, la distanciation physique mais aussi affective que peuvent nous proposer ces artistes permettent alors de proposer une autre lecture de notre monde et de se réapproprier celui-ci. Ainsi, le spectateur peut devenir un acteur important, réellement actif et même soutenir le message d’artiste.

 

La suite dans le deuxième billet !

Notes de bas de page

[1] BENJAMIN Walter, L’oeuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, Paris, Gallimard, pp. 14-15

[2] WEIWEI Ai, performance lors du Gala Cinema for Peace, 2016. Voir annexe 1

[3] ATGET Eugène, Passage du Grand-Cerf, 145 rue Saint-Denis, Juin 1907.

[4] BENJAMIN Walter, L’oeuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, dossier complémentaire de DOUSSON Lambert et lecture d’image par LUSTE BOULBINA Seloua, Version 1939, Barcelone, Folioplus phisolophie 20e siècle, 2015.pp. 24-25

[5] Bensaude-Vincent Bernadette, « Slow versus fast : un faux débat », Natures Sciences Sociétés, 2014/3 (Vol. 22), p. 254-261. Répéré de : https://www.cairn.info/revue-natures-sciences-societes-2014-3-page-254.htm

[6] Pourquoi faut-il adopter le slow drinking ?. (S.D). Online Coaching. Répéré de: https://www.linecoaching.com/maigrir/dossiers/art/pourquoi-faut-il-adopter-le-slow-drinking

[7] Voir Annexe 2

[8] McLUHAN Marshall, Pour comprendre les médias: les prolongements technologiques de l’homme, 1964, Paris, Seuil.

[9] RAUDRANT Sylvain, collectif Alinéaire, Un refuge Latent, exposition “Le jeu vidéo et la migration”, Vaclav Havel (Paris, France), 2015.

Mémoire: réflexions sur la place des handicaps et des minorités dans le monde du jeu vidéo – Partie 5

J’ai officiellement une directrice de mémoire ! Il me faut à présent penser plus en détail à mes problématiques mais aussi au type de jeu que je souhaite créer pour appuyer mon propos. Quelques pistes de réflexions ici encore.


Mon sujet de mémoire concerne en peu de mots l’importance et la pertinence qu’a le fait d’introduire des connaissances en sciences humaines, sociales ou encore cognitives à l’intérieur du processus de création de jeux vidéo. Cette réflexion ne sort pas de nulle part : étant moi-même porteuse de handicaps et ayant pu travailler dans cette industrie, je constate un manque de connaissances et de recul dans les choix de game design et de gameplay mais aussi par le storytelling et les systèmes de représentations (histoires, dialogues, contenus textuels et promotionnels mais aussi concernant les stéréotypes, de genre, race et autres) qui sont encore et toujours véhiculés sans grandes évolutions et qui sont préjudiciables envers les communautés concernées.

Cependant, le tableau n’est pas parfaitement noir : j’observe également depuis bientôt 10 ans un bousculement et changement social qui s’opère dans nos sociétés occidentales, surtout concernant les minorités ethniques et sexuelles. Au fur et à mesure de mes réflexions mais aussi à travers divers travaux académiques réalisés en psychologie et en sociologie lors de ma reprise d’études, j’ai pu me pencher plus avant sur la question de la représentation du handicap et de la santé mentale : en France ce n’est que depuis les années 70 que la perception du handicap change véritablement et devient un problème social et non plus individuel, en investissant fortement le champ du droit[1].

Dans le domaine du jeu vidéo, le handicap et la santé mentale « semble » être les grands absents des débats : la plupart des jeux que j’avais pu analyser lors d’un dossier académique pour le cours « FCM2872, l’industrie des jeux vidéo » à l’Université du Québec à Montréal démontraient des usages imparfaits de concepts en santé mentale (comme la folie, Alice : Madness Returns, Amnesia, etc.) ou d’usages de détournements de handicaps voire faisaient la promotion de ce que l’on nomme le « validisme » (Borderlands 2, Mortal Kombat : Deadly Alliance, etc).

Également, lors des conférences comme celles proposées au Stunfest à Rennes (France) comme à l’étranger (je pense ici à mes expériences au Canada, Vietnam et Nouvelle-Zélande), n’ai-je trouvé de conférenciers abordant ces thématiques. Pourtant, force est de constater que des associations revalorisent le handicap, sont capable de fédérer des communautés et d’animer des ateliers de médiations au sein et pour cette industrie vidéoludique. Leurs actions ne manquent pas mais elles peinent à être médiatisées : on peut noter celles qu’effectuent CapGame (depuis 2013) ou encore le RIJV (depuis 2016), ou d’autres moins directement reliées comme Loisirs Numériques qui a dernièrement proposée une conférence sur le handicap et l’accessibilité[2].

Par ailleurs, je peux également constater de la démocratisation de l’UX Design, filière dans laquelle je me développe et qu’on pourrait définir par « ergonomie appliquée aux jeux vidéo »[3]. C’est une discipline que la chercheuse et Game UX Consultant Célia Hodent[4] – et grâce à la création de son événement annuel Game UX Summit, initié en 2016 – met en avant. Cette discipline effectue un travail critique et analytique sur l’utilisateur, son rapport au jeu et son support, afin d’enrichir ou de modifier son expérience. Il est donc question de psychologie, de sociologie, de cognition et neurosciences, et fondamentalement, de connaitre de là la différence des profils : il faut alors comprendre que le handicap a sa place et qu’on peut induire du handicap à un joueur comme on peut rendre un jeu plus accessible à une personne porteuse de handicap.

Comme énoncé, le tableau n’est pas parfaitement noir : développé dans mon dossier au Québec, j’observe également que dans la scène indépendante du jeu vidéo se multiplient les titres qui se veulent plus inclusifs et accessibles. Les conditions de développements et financements permettent aux indépendants d’explorer d’autres formes de représentations et d’expérimenter des gameplays qui questionneront et critiqueront les normes et exploreront la différence. J’avais en outre pu étudier des jeux comme Her Story, qui aborde des préceptes de psychanalyse, Hellblade : Senua’s Sacrifice (qui peut tout à la fois provoquer un écho aux problématiques de personnes atteintes de troubles psychiques comme la schizophrénie, des troubles anxieux que l’on peut retrouver dans des troubles dépressifs ou encore concerner des personnes ayant des problèmes d’addiction s’accompagnant de déréalisations personnelles) ou Papo y Yo qui aborde la violence psychologique et les abus que peuvent subir un enfant d’un parent alcoolique.

C’est avec tout ce support théorique et vidéoludique que me sont alors venues des questions relatives à certaines catégories de handicaps, ceux que j’ai, et qui pour l’heure, ne trouvent pas/peu de représentations. Dans mon cas, il est question des troubles « dys » tels que la dyscalculie ou la dyspraxie, et l’autisme.

J’observe depuis quelques années également, à vrai dire depuis les jeux Adibou que nous devons à notre émérite Muriel Tramis[5], que dans les jeux vidéo, le jeu éducatif a permis de développer et faire émerger ce qu’on nomme actuellement le « serious game ». Ce champ permet par le jeu vidéo d’explorer des thématiques complexes, plus « sérieuses ». Lorsque j’observe des jeux qui n’appartiennent pas à cette catégorie, comme c’est le cas du jeu Epistory, je ne peux m’empêcher de penser à comment introduire une conscience du handicap : dans un jeu textuel comme c’est le cas ici et puisqu’il est question de devoir taper sur le clavier des mots au-dessus des monstres pour les vaincre, pourquoi ne pas proposer un personnage ou un mode de jeu « dyslexique » ?

J’en viens à me questionner sur l’autisme, sa représentation dans le jeu vidéo, sa perception dans la sphère publique et sociale et in fine sur comment pouvoir proposer des expériences de jeu qui peuvent faire comprendre le sujet ou faire écho à des aidants naturels (parents, proches) ou directement à des personnes concernées. Je pense alors au jeu TSARA, un jeu d’apprentissage et de développement sur les comportements à adopter en lien avec l’autisme et donc un serious game. Il a notamment reçu le prix KLESIA 2016. Pour en avoir discuté avec un docteur en philosophie militant pour une meilleure reconnaissance et compréhension de l’autisme, Josef Schovanec[6], ce jeu ne fait pas l’unanimité dans la communauté des personnes concernées par ce trouble neurodéveloppemental, mais est applaudi par les aidants qui sont en effets le cœur de cible de ce produit vidéoludique.

Je ne peux m’empêcher de penser que le format « sérieux » n’est pas celui qu’il faut (qu’il me faut) pour aborder une réalité perceptive si particulière : « éduquer les gens » est un exercice périlleux et souvent quelque chose de « mal », perçu négativement, qui donne un sentiment de jugement et de « mal faire » aux personnes qui sont non concernées par le sujet. On peut retrouver cela dans les injonctions faites sur les affichages publicitaires ou les panneaux sur les bennes de recyclage que l’on voit dans le paysage Montpelliérain[7]. En somme, pour envisager aborder un public plus large, il faut à mon sens l’amadouer par de l’émotionnel, et pour se faire, passer par du beau, de la narration et du sentiment.

Je pense ainsi à quelques titres de jeux vidéo dont Moss. Dedans, le personnage de Quill, une souris, est muette et utilise la langue des signes. C’est un choix fortuit dans le sens que c’est un animateur 3D, Richard Lico de Polyarc[8], qui en créant des « pré-sets » d’animations pour ce personnage, a eu l’idée d’emprunter des gestes de cette langue non verbale pour donner de la vie et de l’émotion à Quill. L’idée a plu et est devenue la façon de s’exprimer de la souris. Dans sa vidéo, M. Lico évoque comment dans son processus créatif, il a incorporé des concepts permettant justement d’installer une forme d’expression émotionnelle. C’est à mon sens le cœur de mon sujet.

Ainsi, je pense que pour mon propre projet de mémoire, il me faudra m’intéresser plus à l’expérience du joueur d’un point de vue UX Design, mais surtout y incorporer des principes de narrative designs. Je pense ici à quelques livres que j’ai à ma disposition comme celui de Ronan Le Breton (2017), professeur des Gobelins à Paris ou encore au livre The Game Narrative Toolbox de Tobias Heussner (2015)[9]. Je pense également à des techniques et outils tels que le design thinking pour lequel j’ai pu être formé en 2015 ou encore l’utilisation de l’empathy map que je pourrais retravailler et associer aux travaux relatifs au BrainHex.

En peu de mots, le BrainHex, c’est une approche adaptative de la gamification, qui prend en compte les particularités intrinsèques des participants-apprenants. Cela renforce leur engagement et motivation. Cela se base en outre sur les travaux précurseurs de Bartle (1996)[10] sur les différents types de joueurs (killer, explorer, achiever, socializer) auxquels Nacke et al.[11] en 2014 ont ajouté à la suite d’études neurologiques et comportementales d’autres catégories : seeker, survivor, daredevil, mastermind, conqueror, socializer, achiever. Ces types là ne s’embarrassent pas d’un type de jeu en particulier et sont plus souples et donc adaptatifs.

[1] Plusieurs lois : la loi d’orientation en faveur des personnes handicapées de 1975 et la même année l’adoption de la Déclaration des Droits des Personnes Handicapées adoptée par l’ONU, la loi 87-517 du 10 juillet 1987 en complément, La Charte Sociale européenne du Conseil de l’Europe du 9 décembre 1989, puis celle du 11 février 2005 en France et en 2006 l’adoption de la nouvelle Convention sur les Droits des Personnes Handicapées par l’ONU avec 147 pays signataires et 99 ratifications.

 

 

Petite bibliographie :

[2] Relayé par le site AFJV : https://www.afjv.com/news/9457_les-rencontres-videoludiques-jeu-video-et-handicap.htm

[3] L’UX Design n’est pas un titre protégé, contrairement à son alter-égo francophone qu’est le titre de psychologue-ergonome (parfois aussi psychologue du travail). Cette discipline n’est pas non plus exempte de connaissances en sociologie, politique et de là de principes de sociocritiques, d’approche systémique etc.

[4] C. Hodent, The Gamer’s Brain : How Neuroscience and UX can Impact Video Game Design, Boca Raton : CRC Press, 1st Edition (August 16, 2017), 2017.

[5] C. Woitier, Pionnière du jeu vidéo en France, Muriel Tramis reçoit la Légion d’honneur, LeFigaro.fr, économie [publié le 26 octobre 2018, consulté le 13 février 2019 sur : http://www.lefigaro.fr/medias/2018/10/26/20004-20181026ARTFIG00157-pionniere-du-jeu-video-en-france-muriel-tramis-recoit-la-legion-d-honneur.php]

[6] Conférences et interventions de Josef Schovanec, parrain de la Maison des Possibles de Lunel, le 8 février 2019. Ici, informations sur l’association par le journal en ligne France Bleu : https://www.francebleu.fr/infos/societe/une-maison-des-possibles-a-lunel-pour-les-personnes-atteintes-d-autisme-1535791847

[7]  Je n’ai encore pas trouvé de références par internet pour illustrer mon propos, mais je peux/devrais faire des photos par moi-même je pense.

[8] R. Lico, Animating Quill : Creating an Emotional Experience, Game Developer Conference (GDC), [mise en ligne : 10 juillet 2018, consulté le 4 août 2018 : https://www.youtube.com/watch?v=u3CzLVpuE4k]

[9] T. Heussner, The Game Narrative Toolbox, Abingdon-on-Thames : Routledge, 2015

[10] Bartle, R. (1996). Hearts, clubs, diamonds, spades: Players who suit MUDs. Journal of MUD research, 1(1) Repéré à http://mud.co.uk/richard/hcds.htm

[11] Nacke, L. E., Bateman, C. et Mandryk, R. L. (2014). BrainHex: A neurobiological gamer typology survey. Entertainment Computing, 5 (1), p.55-62.

Mémoire: réflexions sur la place des handicaps et des minorités dans le monde du jeu vidéo – Partie 4

Suite toujours! Cette partie concerne véritablement ce qui m’interpelle le plus et ce sur quoi je veux étudier et militer mais aussi améliorer en créant des jeux: la santé mentale dans le jeu vidéo. C’est une partie que je retravaillerais et approfondirais encore, tout au long des mois à venir. 🙂

II) Représentation et représentativité dans le jeu vidéo.
b) L’innovation par les technologies

Avoir recourt à de l’UX est en soi déjà faire montre d’une volonté de recherche et de développement (R&D). Le but est d’effectuer un exercice de décentration afin de percevoir ce que le joueur percevra et d’optimiser, corriger, accentuer les effets perceptibles. Et c’est toute la puissance des développeurs indépendants : permettre d’accroître une sensibilité et de mettre en avant des caractéristiques ou minorités ou problématiques qui ont été mises de côté, sous ou mal exploitées. Une belle mise en application de ces axes-là en jeu vidéo sont Hellblade : Senua’s Sacrifice et A Blind Legend.

La santé mentale dans les jeux vidéo est une dimension totalement sous exploitée ou victime de stéréotypes. Des jeux comme Alice: Madness Returns, qui à pourtant comme origine le conte de Lewis Caroll, n’empruntent pas les principes de santé mentale dans un but exploratoire ou d’expiation, cathartique. La folie y est ici grossière et sert à renforcer une atmosphère et esthétique graphiquement lourde, qui joue sur les principes psychologiques propres au registre de l’horreur (Bernard Perron, et ses travaux sur l’horreur dans le jeu vidéo et cinéma, Université de Montréal). Hellblade: Senua’s Sacrifice en revanche, est un jeu sorti en août 2017 et parle de problématiques de santé mentale, dont la dépression et la schizophrénie. Un seul personnage est à l’écran, le jeu se focalise sur celui-ci, les décors quoique esthétiques sont là pour donner du sens à la trame narrative, pour la contextualiser. C’est un jeu avec des thématiques lourdes, tant en sens, en émotions qu’en expérience de jeu, avec un réel travail sur l’expressivité (visage) du personnage afin de bien cerner la psychologie et les émotions de celui-ci. Un véritable alien dans le catalogue du jeu vidéo. C’est un studio indépendant une fois encore qui en est le créateur, récompensé bien au-delà de ses espérances car rien ne laissait présager ni de l’orientation du jeu, ni de la justesse dans son propos.

De par son message, la propagation de celui-ci et par sa réussite, Hellblade: Senua’s Sacrifice a permis de sensibiliser le « joueur moyen » à certaines problématiques en santé mentale. Forts de leur succès, les créateurs de Hellblade: Senua’s Sacrifice ont depuis créé de nombreux partenariats avec des associations en santé mentale dans plus de 35 pays dans le monde, avec un accès par leur site internet afin de faire perdurer le message délivré par leur jeu. Ce qu’il est à noter est que ce jeu indépendant a gagné en popularité du fait même qu’il aborde une problématique en santé mentale, fort d’un héros qui peut « véritablement mourir » et qui expérience la folie à un haut niveau.

C’est un véritable succès, une ovation qui lui a été faite par un public concerné par des troubles psychologiques. En somme, ces porteurs de handicaps invisibles, des handicaps sociaux, mentaux, ont plébiscité ce jeu parce que justement, il leur était adressé.

A Blind Legend est un autre succès indépendant qui prône de la diversité et la reconnaissance d’un handicap: ceux visuels, la minorité des malvoyants et personnes aveugles. Lorsqu’on pense à un jeu vidéo, et par définition même du terme «jeu vidéo», on s’attend à une expérience de jeu visuelle. Pourtant, on peut tout à fait, et c’est le cas avec ce jeu-ci, expérimenter ce médium sans aucune image. Dans A Blind Legend, l’écran est noir et le restera, tout se passe par les sons que l’on entend et des touches du clavier pour agir et se déplacer. Dans le cas de ce jeu, quelques anecdotes sont à noter: dans le paysage vidéoludique, les investisseurs de ce jeu sont une radio française, France Culture. Comme son nom l’indique, le but est de favoriser la culture et c’est une des dernières radios Françaises à fonctionner sur un principe communautaire (sans intervention directe du gouvernement), ce qui permet de faire passer des messages forts et clairs quant à leurs valeurs et politiques sociales. En s’associant avec le studio DoWiNo, le but était de révolutionner le jeu vidéo et de le rendre accessible à « tous », de sensibiliser et d’avoir une utilité sociale. Que ce jeu soit le premier jeu vidéo pour personnes malvoyantes semble improbable et pourtant, c’est le cas. Il aura suffi d’un studio indépendant pour avoir cette approche, cette ouverture et permettre à un handicap de ne pas en être un.

Être aveugle ou malvoyant pour jouer à A Blind Legend devient même un super pouvoir.

D’un point de vue d’UX design, ce jeu repose sur l’utilisation d’un environnement sonore en trois dimensions (il faut donc tourner pour identifier comme dans la réalité les différentes sources sonores). Pour ce faire, DoWiNo s’est intéressé aux neurosciences et au biomédical en intégrant une technologie binaurale qui, à ce moment dans l’industrie du jeu vidéo, en était à ses tout débuts. Une prouesse technologique qui, toujours d’un point de vue d’expérience utilisateur, a également nécessité l’intervention et l’inclusion de personnes porteuses de handicaps elles-mêmes! De nombreuses personnes ayant une déficience visuelle sont alors venus expérimenter le jeu pour que celui-ci soit réaliste et logique, afin d’améliorer la finesse technologique et la sensibilité lors de l’expérience de jeu.

Petite note: nous avions pu les accueillir avec mon association LoisirsNumériques lors de notre événement Le Desert Bus de l’Espoir, voici leur intervention, cela dure une heure:

 

IV) Vers ailleurs et demain.

Aujourd’hui, le jeu vidéo est un médium qui a su asseoir sa position dans le paysage culturel. Sa production annuelle et son chiffre d’affaire dépasse de loin beaucoup d’autres, dont l’industrie du cinéma. Bien que ce soit un milieu qui refuse toujours l’accès à une réelle égalité (hommes-femmes, accès à l’emploi des personnes en situation de handicap), on peut observer qu’un changement est possible. Grâce aux développeurs indépendants, les minorités gagnent en droit et accès à la parole. On observe même une évolution de la perception du handicap dans la plupart des jeux :

Snake, du jeu Metal Gear que nous avons pu mentionner auparavant a dans les derniers opus, perdu un œil. De la même façon, le personnage de Lara Croft (Tomb Raider) évolue et esthétiquement, ressemble enfin à un véritable être humain normalement proportionné. Les problématiques de genres s’exportent doucement de la sphère

publique (problématique sociale) vers celle industrielle. Il reste cependant beaucoup de chemin à parcourir, des jeux comme Bayonetta ou bon nombre de jeux japonais à caractère sexuel existeront encore pour plus d’une décennie du fait même de leur paysage socio-culturel.

Les handicaps invisibles ont également trouvé une voix et un moyen d’expression : les jeux indépendants possèdent une plus grande marge de manœuvre et d’expression que les gros studios dans les aspects créatifs et narratifs. Utiliser ce passe-droit est obligatoire afin de gagner en visibilité et en reconnaissance pour les studios indépendants. Pour y parvenir, les jeux s’orientent autours de personnages plus « abîmés » que ceux des « triple A », plus « tangibles », amenant à une vraie concordance et cohérence interne sur les questionnements soulevés par le prisme de l’avatar. Les avancées technologiques sont également d’un grand renfort pour la réussite de certains projets, comme celui de créer un jeu vidéo pour personnes malvoyantes avec un système binaural.

En somme, le jeu vidéo permet de plus en plus une réelle fenêtre d’inclusion sociale pour bon nombres de problématiques liées aux genres, aux handicaps, aux minorités.

Quel est alors l’avenir pour demain ? Vers quoi le jeu vidéo doit-il se tourner ? La ludification et l’égalitarisme sociale ayant le vent en poupe, on peut estimer que ces jeux indépendants qui semblent être rares, puissent se multiplier et se diversifier.

Alors, comme pour certaines initiatives, peut-être pourrons-nous voir bientôt plus d’inclusion. En France, lors des événements culturels qui promeuvent le jeu vidéo, on peut observer des stands, des tables rondes, des conférences informatives sur le devenir de l’inclusion. Des initiatives techniques cherchent à développer des contrôleurs pour des personnes à mobilité réduite ou ayant des problématiques motrices. Ce qui signifie qu’un jour, tout le monde pourrait jouer aux jeux vidéo

Petite bibliographie et webographie :

  • Duggan, M. (2015) Gaming and Gamers. Pew Research Center.
  • Gourdin, A. (2005) Game Developer Demographics: An Exploration of Workforce Diversity, de International Game Developers Association, IGDA.
  • Malouin, J-F., Arsenault, D., Dagenais, O., Noury, M. (2016) Le rayonnement de la culture québécoise par le jeu vidéo, La Guilde.
  • Pineault, Y. (2015) Le jeu vidéo à Montréal : une négociation entre création et production
  • Sénac, R. (2015). Chapitre 3 / Une égalité sous conditions de performance de la différence : une ruse de la raison néolibérale. Dans R. Sénac, L’égalité sous conditions :
  • Genre, parité, diversité (pp. 139-188). Paris : Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.).
  • Sun-Higginson, S. (2015) GTFO: Get the F&#% Out, FilmBuff.

 

 

Mémoire: réflexions sur la place des handicaps et des minorités dans le monde du jeu vidéo – Partie 3

Suite des réflexions. Tout n’est évidemment pas parfait, j’aurais besoin de revenir sur celles-ci car j’ai depuis trouvé des références pouvant m’aider dans mes écrits, notamment des exemples de représentations des handicaps (bien que ceux-ci me confirment pour le moment que c’est mal employé/mal documenté).

 

II) Représentation et représentativité dans le jeu vidéo.
c) Handicaps et minorités, tous oubliés ?

Pour contrer cette intersectionnalité et l’intégration de cette normativité, quelques initiatives existent : des minorités mentionnées au début de ce texte, seule la cause féministe a su constituer des collectifs afin de faire entendre sa voix. Ainsi existent entre autres le documentaire GTFO de Sun-Higginson (2015), des collectifs de femmes comme Pixelles à Montréal mais aussi Women in Video Games en France… La deuxième minorité qui doucement fait parler d’elle par le jeu vidéo est la communauté LGBTQ+. Celle-ci s’exprime dans la création même des jeux vidéo plutôt que sous couvert d’un réel collectif, comme le jeu A Normal Lost Phone, ainsi que par l’inclusion de personnages et scénarios comportant des histoires ou problématiques de genre, de sexualité. Quant aux personnes racisées ou avec handicaps ? Pour le racisme, il semble que soit reconnue la non diversité et pire, l’usage de stéréotypes de race négatifs dans les jeux vidéo (dernier scandale en date, l’usage d’un continuum colorimétrique allant de blanc à noir dans South Park : the stick of Truth, pour figurer du niveau de difficulté du jeu.). Le grand absent dans la représentation reste le handicap…

On peut facilement constater que la plupart des personnages d’un jeu vidéo sont des héros, avec des capacités extraordinaires ou une habileté particulière : Mario est un plombier doté d’une capacité de saut, de “pouvoirs” dans certains de ses univers, Link (Zelda) possède un attirail d’armes, de pouvoir, Samus (Metroid) possède des armes variées et une combinaison la protégeant de ses ennemis, Snake (Metal Gear) est également un soldat surentraîné et surarmé… La liste est sans fin. Un personnage ayant une limitation fonctionnelle ou cognitive n’est semble-t-il pas une chose qui donnerait envie au joueur de partir à l’aventure, à moins que cela puisse être utile dans la scénarisation ou le game play même du jeu. Fait-on alors uniquement des jeux pour un individu masculin moyen occidental et blanc ne pouvant souffrir d’aucune condition physique ou mentale ?

III ) L’intégration et l’innovation vers plus de reconnaissance
a) les indépendants

À toutes ces questions concernant l’intégration de minorités et quant à l’innovation qu’íl semble impossible d’obtenir dans le jeu vidéo, quelle est la solution ? Se trouve-il dans le paysage vidéoludique un acteur capable de changer les paradigmes ? Oui, et la réponse qui doucement s’impose est : le jeu vidéo indépendant.

Libre des contraintes éditoriales et de productivité, le jeu indépendant doit se démarquer de ses concurrents et pour se faire, doit faire preuve d’ingéniosité. Pineault nous explique dans son étude du marché du jeu vidéo à Montréal que bien que les galons des créateurs de jeux s’acquièrent dans les grands studios, les lettres de noblesse quant à elles, s’obtiennent en sortant des sentiers battus. Cité précédemment et à titre d’exemple, A Normal Lost Phone est un jeu vidéo indépendant qui a vu le jour lors d’une gam jam, soit un événement propice à la création de jeux vidéo en temps et moyens techniques limités. Gagnant de son édition, ce jeu créé par une équipe de trois femmes Françaises à rencontré un succès tel qu’elles ont par la suite pu créer leur propre studio indépendant de jeux vidéo, Accidental Queens.

Ce genre d’histoire est commune dans l’industrie du jeu vidéo indépendant. Quand un de ses acteurs n’a pas la place créatrice nécessaire à son expressivité, comme nous avons pu le découvrir lors de l’entrevue que nous avons eu en cours avec Sabrina Jacques, celui-ci entreprend l’aventure indie. Pour Sabrina Jacques que nous avons eu l’occasion de faire venir à l’Université du Québec à Montréal dans notre cours sur l’industrie du jeu vidéo, après une carrière à Ubisoft Montréal elle a eu l’opportunité de créer et prendre vraiment part au jeu vidéo en développant avec des collègues, leur studio Epsilon. Au sein d’Ubisoft, la création individuelle n’est que peu encouragée, des contraintes administratives retiennent et limitent les esprits créatifs. Partir devient donc une solution, une éventualité de création acceptable.

Au Québec, un collectif rassemble tous ces indépendants, La Guilde (en entier : La Guilde des Développeurs Indépendants du Québec). Les principes d’entraide sont une base fondamentale de La Guilde. Le financement que reçoit chaque studio vient en grande partie du gouvernement (37%), de sous-traitance avec d’autres studios et services et permettent la création d’innovations techniques, culturelles et artistiques que ne permettent plus les grands studios de développement.

Cette liberté nécessaire pour se démarquer est généralement mise au service de gameplay et de scénarios novateurs. Ces espaces de liberté peuvent alors servir à pointer du doigt des problématiques qui peuvent être sociales ou politiques, sans forcément imposer un ton revendicatif qui pourrait faire fuire le joueur. Dans la même lignée que A Normal Lost Phone qui dépeint des problématiques LBGTQ+, on observe des jeux comme Orwell, Papers, Please! ou encore This War of Mine, qui nous parlent simplement et avec intelligence de problématique de surveillance, d’immigration et de survie lors de conflit armé. Ces problématiques sont travaillées afin d’aborder par la psychologie du joueur et des personnages la compréhension des tenants et aboutissants de contextes et situations sociales complexes. C’est par ce que l’on appelle l’UX Design, soit le design de l’expérience utilisateur et la R&D, soit la recherche et développement, que de telles choses sont envisageables. Dès lors, se soucier des minorités et parler d’elles de l’intérieur devient possible ; une transition sociale est en marche.

 

Fin du billet 3 !